If you want to make peace with your enemy, you have to work with your enemy. Then he becomes your partner. — Nelson Mandela.

Décembre 2023, cellules de détention.

La porte en acier s’ouvrit sur un couloir étroit qui longeait les cellules. Néons blafards. Odeurs de détergents mêlées à des relents de stress. Reniflements étouffés, un raclement de gorge sourd au niveau de la cellule centrale. La porte de sécurité se referma derrière deux hommes en uniforme bleu. Le caoutchouc de leurs bottes grinça sur le sol lisse que les détenus avaient usé et taché au fil des ans. John Monroe, posture droite, tenue impeccable, marchait d’un pas cadencé aux côtés du gardien de prison bedonnant. Le rythme de sa démarche, monotone, semblait marquer l’écoulement inexorable du temps.
Le gardien s’arrêta devant la cellule 5.
— Weris est là-dedans, dit-il d’une voix enrouée, son teint rougi trahissant un début de fièvre. Il portait un manteau fourré qui n’était pas superflu à l’intérieur du bâtiment balayé par le vent d’hiver. En tendant l’oreille, on entendait les rafales siffler à travers les interstices.
John hocha la tête, échauffé par une légère montée d’adrénaline. Ces derniers jours, il avait mené un long travail d’investigation dont le résultat se jouerait dans les prochaines minutes. Jace Weris. Ivrogne récidiviste, un cas banal en apparence. Un homme au passé trouble qui détenait peut-être la clé pour chasser un nouveau mal qui s’insinuait dans les rues de Tree Hill.
Le jeu de clés cliqueta. Le gardien glissa l’une d’elle dans la serrure et tourna. La porte grinça, s’ouvrit lentement sur l’espace confiné. Décor spartiate, toutefois John avait connu des geôles nettement plus affreuses et inconfortables. L’ancien Marine Raider entra, affrontant sans ciller le regard houleux de Weris.
— Merci, dit-il au gardien. Vous pouvez nous laisser.
Nouveau grincement, plus bref. La porte se referma derrière John et se verrouilla. Il ne portait aucune arme, aucun document. Pas besoin. Weris ne représentait aucune menace et l’ancien Marine Raider avait mémorisé tout ce dont il avait besoin, comme un plan d’attaque de sa vie passée.
— Détenu Weris.
John croisa les bras sur sa poitrine. Le regard fixé sur le visage du prisonnier. Celui-ci avait dessoulé, en revanche les heures au calme et la température léthargique n’avaient pas atténué l’ardeur de son caractère.
Stoïque, le policier annonça d’une voix forte et claire :
— Votre avocat vous a déjà informé des peines que vous encourez : 30 jours de détention minimum – plus vraisembablement 60 ou 90 jours ; retrait immédiat de permis, qu’il vous faudra obtenir à nouveau en respectant des conditions drastiques ; et pour finir une lourde amende forfaitaire dont le montant s’envolera lorsque l’assureur aura évalué le préjudice sur la boutique que vous avez emboutie. En résumé, vous êtes dans la mouise jusqu’au cou. L’État de Caroline du Nord est peu clément envers les alcooliques irresponsables. Trois fois dans la même année, Weris. Et vous n’avez suivi aucune des recommandations du juge pour vous faire aider. Mais votre situation est plus grave que vous l’imaginez. Votre situation n’est pas celle que les habitants de cette ville imaginent à votre sujet.
John considéra Weris avec l’air de celui qui en sait plus qu’il n’en dit.
— J’ai une proposition pour vous sortir de là.

@Jace Weris

De toutes les conneries que j’ai pu faire, celle-ci est la meilleure : me faire choper parce que j’ai encore picolé et retrouver au volant de ma voiture. Je ricane tout seul en cellule, allongé sur un banc mis à disposition et seul objet de la pièce si on n’oublie pas les célèbres toilettes à vue de tout le monde. J’ai fait fort tout de même. Je suis encore tomber sur le même flic ! Coincé, pas très amical, un peu con comme tous les autres gars qui portant cet uniforme. N’empêche qu’il a réussi à me coffrer et me ramener ici et, rien que pour ça, je lui tire mon chapeau. Parce que je sais à quel point je suis chiant, capable de n’importe quel coup bas, pour me sortir d’un mauvais pas. Je suis du genre de saleté que ce style de flic souhaite éradiquer de la terre en m’envoyant par le bas. Sauf que la justice est toujours là pour rappeler à l’ordre et je me serai servi de n’importe quelle excuse s’il était venu à m’en coller une pour son bon plaisir. Mais pas du tout. Alors je reste planté sur ce banc, couché, fixant le plafond ou en fermant les yeux pour faire une sieste. De toute façon, il n’y a pas grand-chose à part attendre que le temps passe et que quelqu’un vienne me dire à quelle sauce je vais être déguster. Soit ils n’arrivent pas à creuser trop loin, à remonter dans les années, et filer ma trace dans les rues de New-York et ses immondices, soit ils n’ont que ce qu’ils ont devant les yeux : un mec qui a perdu sa femme et qui picole pour faire passer le temps. Cette deuxième option m’évitant quelques années de taule, je la préfère nettement. La première … Finalement, je n’ai peut-être plus énormément de choses à perdre si je pars de ce côté du mur. Les gars du boulot vont m’en vouloir, c’est clair, Mavie risque de ne plus jamais m’adresser la parole non plus mais, en soit, cela ne va pas influencer leur vie que je sois en prison ou non. Leur opinion sera très clairement changée après ce genre d’évènements, bien que mon silence leur mette la puce à l’oreille sur mon passé douteux, je fais en sorte de ne les impliquer dans rien de ce que j’ai pu faire.

C’est le bruit des pas de plusieurs personnes qui me fait tendre l’oreille. Le couloir n’est pas bien long, ils arriveront bientôt à ma hauteur. Je ne me redresse pas, un bras passé sur mes yeux. Je ne ferais rien pour me donner en spectacle, mais je ne compte pas leur facilité l’affaire non plus. Je ne peux m’empêcher de ricaner une nouvelle fois lorsque la voix du flic qui m’a attrapé résonne dans la pièce. Super protecteur de la ville ! Personne ne va boire une goutte d’alcool en reprenant son volant avec lui ! « Présent ! » J’ironise en levant le bras comme un gamin en à l’école. Je repose mon bras sur mes yeux, ignorant la présence du flic tout proche tandis qu’il se lance dans son discours. Beaucoup de bla-bla, des infos que j’aurai pu trouver moi-même sur le net si je m’étais donné la peine de m’intéresser à ma situation. Mais je tique. Car il sait que je ne suis plus la même personne depuis que je suis dans cette ville, et cette information-là, bien que noyée dans cette masse de mots, ne passe pas inaperçue. Je me redresse sur les coudes pour toiser mon interlocuteur, curieux d’en apprendre plus sur la manière dont je vais être mangé cette fois. « Une petite fouine ! Je n’en attendais pas moins d’un super défenseur de sa ville ! » Je souris, nargue le flic en question, Monroe, qui a réussi à être présent les 3 fois où mon ébriété avancée s’est retrouvée à me jouer des tours. Vilaine tequila ! Je me relève, m’avançant lentement vers lui, comme un prédateur le ferait avec sa proie, sans jamais lâcher son regard du mien. « Toi, tu as envie de me sortir de là ? » Je m’étonne, souriant. « Toi, le flic de Beverly Hills, défenseur de la veuve et de l’orphelin, tu as envie de libérer un vilain consommateur d’alcool au volant ? » Je me pointe du doigt, toujours sur le ton de l’ironie, j’ai des amis et des ennemis en prison, je sais que je peux prendre très cher ou m’en sortir. « Si ton idée est de me faire suivre une reconversion professionnelle pour devenir nounou, sans façon. »

@John Monroe

If you want to make peace with your enemy, you have to work with your enemy. Then he becomes your partner. — Nelson Mandela.

Décembre 2023, cellules de détention.

— Une petite fouine ! Je n’en attendais pas moins d’un super défenseur de sa ville !
John ignora la provocation.
— Toi, tu as envie de me sortir de là ?
Le ton ironique montrait que Weris n’était pas dupe. Tant mieux. Économie de salive.
Sauf que l’ivrogne récidiviste avait manifestement envie d’en remettre une couche.
Le premier stade de la détention produit souvent cet effet de volubilité accrue. Puis les semaines passent. Un silence mélancolique habite les esprits, progressivement les organes de la parole s’atrophient. Sauf chez les malades mentaux. Ceux qui parlent aux insectes et répondent aux voix dans leur tête.
— Toi, le flic de Beverly Hills, défenseur de la veuve et de l’orphelin, tu as envie de libérer un vilain consommateur d’alcool au volant ?
John ignora la provocation. Pas venu pour jouer. Weris n’avait pas mérité cet égard. Pas encore.
— Si ton idée est de me faire suivre une reconversion professionnelle pour devenir nounou, sans façon.
Il déplia les bras. Visage impassible, regard franc.
— Soyons honnêtes : aucun adulte sain d’esprit ne voudrait d’un criminel pour nounou.
Le policier contourna le détenu. Traversa la cellule en direction des sanitaires, offrant sans appréhension son dos à l’ancien gangster.
— Bien que vous semblez respectueux des règles d’hygiène, je vous accorde ce point.
Si Weris avait vomi après sa cuite, il avait correctement visé la cuvette. Ou bien nettoyé derrière – sous la supervision d’un gardien. John n’avait pas demandé.
Il retourna sur ses pas, longea le petit mur et se campa à mi-chemin. Fesses en appui contre la surface froide, en face de la couchette inconfortable. Il avisa le récidiviste et reprit d’un ton calme :
— L’alcool libère les secrets enfouis, Jace Weris. Vous avez abondamment baragouiné au cours de votre arrestation. Vous l’aviez déjà fait cet été, lorsque votre véhicule a percuté un panneau routier. Je n’y avais guère prêté attention car les ivrognes racontent peu de choses intéressantes. Pourtant, j’aurais dû. Parmi les flots de paroles agressives, sans queue ni tête, vous avez régurgité quelques pépites. Une piste de petits cailloux brillants qui m’a conduit à New York. À votre vie d’avant.
Silence. John tourna le visage vers le nord, à environ mille kilomètres de la prison.
— Je n’ai pas découvert toute la vérité, toutefois j’en sais suffisamment pour me faire une idée des raisons qui vous ont poussé à fuir la Grosse Pomme pour vous installer dans notre ville paisible.
Il reporta son attention sur l’ancien criminel.
— La section criminelle n’est pas sur le coup. Pas encore.
Main sur le badge greffé à son uniforme :
— Beaucoup d’entre nous, au sein de la police et parmi les braves gens de Tree Hill, sommes prêts à offrir une deuxième chance aux gens de bonne volonté. Nous sommes prêts à offrir une troisième et dernière chance quand la tragédie du deuil foudroie brutalement un nouveau départ. Mais il faut la mériter.
John se redressa. On arrivait aux choses sérieuses.
— Avez-vous entendu parler du Metal Storm ? C’est un club de motards de Willington. Ils ont de l’ambition. Depuis quelques mois, ils étendent leur influence sur Tree Hill. Nous respectons la passion de la moto et n’avons pas pour habitude d’intervenir pas dans les conflits territoriaux entre les clubs. Sauf quand ils vont trop loin.
Le visage et la voix du policier se durcirent, imprégnés du mépris de ce qu’il s’apprêtait à révéler.
— Les membres du Metal Storm dealent de la drogue sous leurs blousons de cuir. Poudres, cachets, les grands classiques. Leur trafic, bien que discret et encore modeste, commence à exercer une influence néfaste sur Tree Hill. C’est un milieu que vous connaissez. Vous êtes garagiste et passionné de moto, connu pour votre attitude rebelle. Vous pourriez facilement infiltrer le club et nous renseigner. Aidez-nous à stopper ces criminels et votre peine sera commuée. Rendez ce service à la police de cette ville, et nous nous engageons à ce que votre passé criminel demeure enfoui.
John dressa un index autoritaire, signifiant qu’il avait une clause à ajouter.
— Autre chose : ne m’adressez plus la parole en employant le tutoiement. Ce sera Monroe ou rien, pas une de vos conneries à la Beverly Hills. Dans le cas contraire, je dégage d’ici sur-le-champ et vous ne m’adresserez plus la parole tout court. Ni à moi, ni à aucun de mes collègues en uniforme susceptible de sceller un accord. On n’a pas grandi dans la même cour de récré. On n’est pas amis. Il y a peu de chances qu’on le devienne un jour. Mais on peut travailler ensemble. Qu’en pensez-vous, Weris ?
L’expression résolue, intransigeante du policier indiquait qu’il était sérieux – et diablement pointilleux – sur toute la ligne.

@Jace Weris

Il m’ignore et je ne sais pas si ça m’agace réellement ou me prouve que le gars qui me fait face n’est pas si bête. Pourtant je pique, j’essaie vraiment de l’énerver le poulet, mais rien n’y fait. Ou alors il est trop sensible à mon charme et c’est pour ça qu’il rentre dans ma cellule ? Un petit abus de pouvoir ? Trop cliché. Pourtant, je reste sur mes gardes, me redressant pour mieux l’observer et avoir un meilleur angle d’attaque, au cas où. Me tournant le dos, je ne peux qu’observer, provoquer, attendre … trop de choses qui m’agacent, de trop. Surtout qu’il provoque à son tour en s’imaginant que j’allais repeindre la cellule d’une adorable couleur sortie droit de mon ventre, manque de pot, mon vieux, ce que je bois je le garde, je ne vomi pas ! Mais mon sang se glace lorsque l’animal de basse-cour se remet à piailler. J’entends presque le chant d’un coq fier de réveiller le voisinage alors qu’il me parle de révélations, de secrets enfouis. Et là, je me fige. Parce que j’ai certainement merdé, que j’ai dû en dévoiler trop sur un passé que j’avais pourtant laissé loin derrière moi. Putain, je n’ai même plus tabassé un gars depuis trop longtemps ! Mais, visiblement, ce n’est pas avec Beverly Hills que je vais pouvoir reprendre la boxe. Le mec prend la pose, le regard perdu dans le vide, sans grand intérêt pour ma personne physique et assez loin pour que je tente de me barrer. Pourtant je sais, je sais au fond de moi que si je me casse maintenant, je suis fichu et derrière les barreaux pour un bon moment. Le problème dans cette idée, c’est que je n’ai aucunes envies de replonger tête la première dans ces merdes, j’ai tué pour trouver ma paix avec Violet et je compte la garder même si ma femme n’est plus vivante.

Alors, comme un con, je l’écoute. Qu’est-ce que je peux faire ? Je n’ai aucune putain d’idée de ce qu’il sait. Certainement pas assez de choses visiblement, sinon je ne pourrais pas prétendre à la rédemption qu’il fini par m’offrir. « Effectivement, tu ne sais pas et je te jure que tu n’as pas envie d’en parler. » Je siffle entre mes dents, peu ravi de la tournure dont prennent les choses. S’il parle de Violet, de ma douce défunte, je me contre fiche de finir en prison tant que je peux le passer à tabac. Je n’ai rien à perdre et il n’y a rien de plus dangereux que quelqu’un qui n’a pas de raisons de rester en dehors des barreaux. Mise à part ma promesse envers ma femme, je n’ai rien qui m’attend. Même pas un putain de chat à nourrir ! « Comme c’est généreux ! » je ricane froidement à cette annonce de troisième et dernière chance. Je l’écoute sur ses idées des Metal Storm. Pas bien méchant, plutôt débutant, assez envahissant. Je comprends que la police se mêle de leur trafic car ils sont peu discrets sur leurs affaires et ne se font pas vraiment d’amis dans le coin. Je grimace à l’idée de me glisser dans les rangs, de revenir au rôle de prospect dans un gang de motards et de faire les merdes à leur place. Je n’irais pas nettoyer la merde du Prés’ à 3h du matin juste pour les beaux yeux des flics qui veulent leur peau.
Mais ce qui me fait hausser un sourcil, avec un sourire moqueur, c’est l’attitude de papa qui gronde son gamin que prend Monroe face à moi, tout ça pour que j’arrête de le tutoyer ! Il est drôle finalement, peut-être qu’il mérite que je lui donne une chance ! « J’en pense que je ne touche plus une moto depuis longtemps, je fais que les réparer. J’en pense aussi que pour intégrer un gang de motard et porter le blouson de cuir et qu’ils me fassent confiance il faut passer par le rôle de prospect. Le rôle de prospect, chef, c’est aller nettoyer leurs merdes. Et jamais de ma putain de vie je ne vais porter encore une fois ce nom. Du coup, t’as, pardon, vous avez un autre plan Monsieur le Chef ? Parce que je veux bien faire nounou pour gangster en perdition mais un prospect ne vous servira à rien dans ce domaine. C’est le bas de la chaine alimentaire et je pense que t’as … Vous avez une idée de qui j’étais avant. » Je grimace un sourire, vouvoyer ce con est une tâche bien difficile. « Oh et autre chose, moi c’est Jace. Weris, c’est ma famille adoptive et j’aimerais autant qu’ils restent en dehors de ces merdes. » Je m’installe plus confortablement sur le banc servant de lit, les mains derrière la tête, appuyé contre le mur, observant le flic de Beverly Hills faire son show. Car oui, clairement, c’est un spectacle qu’on leur apprend à l’école de police ! Il ne tiendrait pas 2h dans la rue, sur un terrain glissant. « Du coup, je suis d’accord sur un point, c’est clair qu’on n’a pas garder les sachets de coke ensemble et le langage familier entre nous est à oublier ! » Je souris, arrogant, parce que j’accepte cette merde de projet d’infiltration, parce que je n’ai pas le choix et que si je dois marcher dans son jeu je veux rester en partie moi-même. Sans quoi, je risque d’être à nouveau engloutis dans les Enfers des gangs.

@JOHN MONROE  

If you want to make peace with your enemy, you have to work with your enemy. Then he becomes your partner. — Nelson Mandela.

Décembre 2023, cellules de détention.

Aller nettoyer leurs merdes. L’ancien gangster Weris rejetait viscéralement cette approche, pourtant John estimait qu’elle recélait un fond de pertinence. Ce type d’activité apprend l’humilité – une qualité notoirement absente de la personnalité imbuvable de Weris. John l’avait pratiquée chez sa grand-mère, en veillant sur son frère cadet, puis à ses débuts dans l’armée. Il était convaincu que le rangement méticuleux des objets, l’ordonnancement fonctionnel des pièces, le traitement rigoureux des déchets, le nettoyage des surfaces, des douches et des toilettes partagées l’avaient rendu meilleur. Plus apte à la vie en communauté. Les enfants japonais s’y adonnaient dès la petite école et apprenaient ainsi très tôt le respect et la propreté qui impressionnaient le reste du monde.
Cependant Weris avait raison : le passage par la phase prospect, souvent longue, ne servirait pas les intérêts de l’enquête. John ne visait pas une infiltration de longue durée. Il fallait agir dans l’année. Chasser le mal afin qu’il prospère. En outre, John n’appréciait pas qu’un citoyen de Tree Hill nettoie les merdes de ces salopards. Question de principe. En ce qui le concernait, Jace Weris était un alcoolique récidiviste avec un passé sombre à New York. Les Metal Storm étaient quant à eux des trafiquants avides qui apportaient une cascade de malheurs à la population que le policier avait juré de protéger. Même niveau sur l’échelle d’épouvantabilité des caractères. Pas le même niveau sur l’échelle des nuisances et de la crapulerie.
— Oh et autre chose, moi c’est Jace. Weris, c’est ma famille adoptive et j’aimerais autant qu’ils restent en dehors de ces merdes.
Réponse calme, intéressée :
— Ravi de l’entendre, Jace. Cela vous offre une motivation supplémentaire pour faire ce qu’il faut et ne pas – ne plus – merder.
Jace avait cédé sur le vouvoiement, John cédait sur l’emploi du prénom. Un pas chacun dans la bonne direction. Vers le respect mutuel et une collaboration fructueuse. Un pas minuscule, néanmoins le premier était systématiquement le plus ardu. Il ne fallait jamais viser haut.
— Du coup, je suis d’accord sur un point, c’est clair qu’on n’a pas garder les sachets de coke ensemble et le langage familier entre nous est à oublier !
Deuxième pas. Insuffisant pour réagir à l’humour épouvantable, catastrophique du détenu avec un sourire. Mais John y songeait. C’était déjà beaucoup. Le mieux qu’il pouvait faire.
Il décolla son postérieur du mur pastel, approcha de la banquette où Jace avait pris ses aises.
— Les Metal Storm vont recevoir un message de bienvenue.
Du bout de sa grole, le policier tapota l’armature métallique soudé au sol.
— Leurs motos vont subir un sabotage pendant qu’ils consommeront gaiement à un bar de Tree Hill. Une manœuvre qu’ils interprèteront comme un acte désespéré de la part de citoyens inquiets et zélés. Ils auront raison pour l’inquiétude et le zèle. Ils auront tort pour le désespoir.
Étincelle dans le regard. Qui se riva sur le détenu en contrebas.
— Par chance, le meilleur mécano du coin se trouvera aussi à l’intérieur du bar. Vous m’avez dit que vous ne roulez plus, mais que vous savez réparer. Ce sera un jeu d’enfant pour vous. Surtout avec une connaissance préalable des sabotages effectués. Les motards seront rudement impressionnés. Ajoutez votre aura d’ancien motard qui a fricoté avec les narcotiques et ils vous adopteront comme l’un des leurs. Ils tâteront le terrain et finiront par vous inviter à leurs réunions, comme un cousin par alliance de la famille. Il sera très intéressant pour eux d’avoir un allié à Tree Hill ; quelqu’un d’intégré, fiable et expérimenté. Un loup dans la bergerie a bien plus de valeur qu’un jeune prospect qui nettoie la merde. Qu’en pensez-vous, Jace ?

@Jace Weris

Une motivation supplémentaire de ne plus merder … Il croit certainement avoir fait l’école du cirque, mais il a simplement ‘air d’un clown en uniforme, un peu comme tous les autres enfants de cœur de la police. Je sui con d’avoir pris ce nom de famille et l’avoir gardé, qui plus est, mais ce cher John a encore été plus con de se faire engager chez les flics et se croire pour un aigle alors qu’il n’est qu’un vulgaire poulet de basse-cour se prenant le bec avec les autres dans un véritable combat de coq pour savoir qui sera le plus fort et qui va arrêter les grands méchants de la ville. Il voit grand, un peu trop grand même, du coup je le trouve très con. On n’arrête pas tout un groupe sur base de quelques idées de merdes, c’est même foireux ce truc de m’envoyer dans le groupement car la première zone à fouiller serait le poulailler où ils ont tous élus domicile. C’est par là que tout doit commencer, avoir un gars prêt à recevoir quelques billets sur le côté chez eux pour les couvrir en cas de pépin. S’ils ne l’ont pas fait, c’est que ce sont de vrais culs bénis bien débiles. Mais je me retiens une nouvelle fois de lui expliquer mes théories, je suppose que je vais devoir ramener des preuves pour qu’il soit capable de me croire et de ne pas penser que je lui mens une nouvelle fois, comme lorsque je promettais mort plein de ne pas recommencer à prendre la route. Ouais, dans le jeu des idiots, je ne suis pas le joueur le plus méritant. Mais, si ce petit flic ne m’inspire toujours pas confiance avec tout ce qu’il à contre moi en sa connaissance, je me retrouve dans l’obligation de coopérer. Bon, le tour par la case prison il n’y a qu’au Monopoly qu’il est sympa car il ne dure qu’un tour de jeu, et bien que ce soit déjà une éternité, j’imagine mal tourner en rond en cellule durant quelques années … Quoi que, je me demande vraiment ce qu’il a pêché contre moi. Je devrais penser à lui demander une fois que je serais dehors.

« Un message de bienvenue ! » Je ricane en comprenant où il veut en venir et comment le message en question va être retenu, ils vont saccager cette ville plutôt que de chercher à comprendre comment réparer leur bécane. « Ils vont foutre le feu au bar et aux maisons autour avant d’essayer de comprendre quoi que ce soit. On ne touche pas les motos, c’est plus précieux que les épouses. » Et le mot est encore bien faible par rapport à ce que j’en pense réellement. Ce cher John va nous mettre la poudre et l’explosion en même temps. « Fricoter avec les narcotiques ! C’est … Mignon. » Je me fou de sa gueule, parce que je ne peux pas faire autrement ! Qui utilises ce genre de langage encore aujourd’hui ? A part Mavie peut-être ? Et le pire dans cette histoire, c’est qu’il croit dur comme fer à ce qu’il dit. Il me fait un peu peur le poulet là … Il est réellement sérieux ! Ce n’était pas une blague ! « C’était une blague, pas vrai ? » Je demande tout de même. « Parce qu’on laisse pas sa moto être réparée par un putain d’inconnu au milieu de la nuit, ils sont certainement mécano ces gens-là, pas des idiots terminé à la p… » Je me retiens de dire le dernier mot, parce que ce n’est pas mon pote et que j’ai l’impression lui aussi a été terminer de cette manière pour penser de cette manière et se croire infaillible. « Nope, moi, si je voulais leur tendre un piège, je ferais juste tirer quelques balles à blanc devant le bar où ils crèchent, histoire qu’ils sortent rapidement pour voir une bagnole de flics se faire la belle devant leur gueule et moi, juste derrière, qui perce de jolis petits trous dans la carrosserie de votre bagnole … » Je suggère, essayant d’avoir une autre vision, un autre angle d’attaque. « Je ferais exprès de mal viser, pas de panique Chef ! » J’ajoute en imaginant déjà sa mine tendue, il faudra peut-être que je l’aide à se trouver une fille un de ces 4. « Des balles à blanc, la voiture démarre très rapidement, je tire un ou deux petits coups et pouf ! Je suis le mec qui vient de sauver leurs bécanes d’une mort certaine. » Et là, si j’avais eu une bière j’aurais trinqué avec lui pour cette merveilleuse idée.

@John Monroe

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Décembre 2023, cellules de détention.

John avait commis une erreur. Il avait demandé à Jace de penser. Synonyme de réfléchir, raisonner. Or, il semblait que l’alcool avait causé des lésions sévères au cerveau du détenu.
— Ils vont foutre le feu au bar et aux maisons autour avant d’essayer de comprendre quoi que ce soit. On ne touche pas les motos, c’est plus précieux que les épouses.
Curieuse comparaison hiérarchique pour un ancien motard dont la compagne était décédée. Insultante envers sa mémoire. Cet homme perdait toute dignité – les ravages de l’éthanol sur un esprit déjà fêlé.
John demeura factuel :
— Devant une masse de témoins ? Sous l’œil de caméras de surveillance et de téléphones capables de filmer sous tous les angles ? Et bien sûr, je resterais les bras croisés pendant qu’ils jouent les démolisseurs pyromanes ?
John souhaiterait presque que Jace ait raison. Ses élucubrations lui faciliteraient grandement la tâche. Un acte de vandalisme au cœur de la ville fournirait à la police une occasion en or de coffrer les motards, voire de mener des perquisitions si les fouilles au corps, prélèvements et interrogatoires livraient quelques résultats intéressants. Mais Jace avait tort. Les criminels saccageaient et terrorisaient peut-être les populations dans le monde où le New-Yorkais exerçait naguère ses activités crapuleuses, mais ici, on était à Tree Hill. Pas en Somalie ou Haïti. Pas non plus à Memphis, Detroit ou Little Rock. Les Metal Storm n’étaient guère des pointures affiliées aux Hells Angels. Ils n’arboraient aucun patch losangé, brodé du fameux 1% ou du 13 des clubs gravitant autour.
En revanche, ces petits trafiquants à moto étaient malins, ils avançaient habilement sur la ligne de crête séparant les vallées de l’ambition et de la prudence. Leur stratégie d’infiltration progressive fonctionnait à merveille jusque là. Ils trébucheraient tôt ou tard et se planteraient, mais la police de Tree Hill ne voulait pas attendre. John espérait combattre la ruse par la ruse, l’infiltration par l’infiltration. Sans répandre le poison de la violence. Il espérait faire de Jace Weris un cheval de Troie, mais se disait à présent qu’il misait sur un bourricot inane.
— Parce qu’on laisse pas sa moto être réparée par un putain d’inconnu au milieu de la nuit, ils sont certainement mécano ces gens-là, pas des idiots terminé à la p…
Dans le cas du mécano emprisonné : un idiot brindezingue qui comprenait un mot sur deux. Pas d’autre explication.
— Vous ne serez plus un « putain d’inconnu » puisque vous aurez pris le temps de fraterniser. Et s’il était possible d’effectuer des réparations fines avec la clé à molette du porte-bagage manipulée par des pognes engourdies, vous autres les garagistes auriez du souci à vous faire. Leur base se trouve à Willington ; vous leur offrez une solution sur place. Mais si vous ne vous sentez pas capable de les embobiner, proposez un meilleur plan ou alors ruminez dans votre cellule jusqu’au printemps.
Jace exposa son plan. Amalgame fantasque qui puisait dans les films de cowboys, les séries criminelles, ainsi qu’une jeunesse à barboter dans les bas-fonds de New York et les succursales du crime organisé. Son esprit naviguait dans les eaux du délire, loin des rivages de la réalité.
Durant sa formation de policier, John avait appris que la moitié des meurtres aux États-Unis se concentraient dans seulement 2% des comtés, la moitié d’entre eux n’en subissant aucun. Zéro meurtre par an sur la moitié du territoire. Une pomme empoisonnée parmi quarante-neuf de mangeables à délicieuses. La criminalité avec violence suivait une tendance analogue, bien que moins marquée. Une répartition terrible pour les habitants des 2%, Jace Weris ayant activement contribué à pourrir la vie de certains d’entre eux, mais qui faisait de Tree Hill un endroit paisible avec une qualité de vie appréciable. Jace n’avait pas senti la différence ?
— Non, trancha-t-il. Avec ou sans balles à blanc.
L’idée était tellement grotesque qu’elle ne méritait pas d’user de la salive en justifications.
John se dirigea vers la porte métallique. Frappa deux coups qui résonnèrent dans le couloir silencieux. Regard froid et austère au détenu :
— Je reviens dans deux heures. Soit vous persistez dans la connerie, soit vous vous engagez sérieusement dans cette mission. Pour les autres alternatives, vous vous débrouillerez avec votre avocat.
Ombre devant l’œilleton. Verrou, grincement. La porte s’ouvrit. Le policier quitta la cellule sans autre forme de procès, puis le lourd panneau de métal se referma derrière lui. Grincement, verrou. John dit au gardien :
— Veuillez lui apporter un repas chaud et consistant. Ainsi que du café – beaucoup de café. Le détenu numéro 5 a besoin de réfléchir. Merci.

Deux heures plus tard.

Verrou, grincement. John pénétra dans la cellule numéro 5. La lourde porte se referma derrière lui. Même procédure.
Le policier se campa dos à la porte. Il n’avait qu’à tendre le poing pour donner les deux coups et trouver un autre moyen de stopper les dealeurs du Metal Storm MC.
— Allons droit au but. Quelle option avez-vous choisie ?


@Jace Weris