Rendez-vous arrangé

Marvin + Giulia

Cela fut une première fois

Il y a des millions de première fois. Si Marvin devait être honnête, il avait connu plus de première fois qu’à son tour. La première fois qu’il avait dû parler à son père. La première fois qu’il avait compris une équation mathématique de quatrième degré et qu’il s’était senti ennuyé. La première fois qu’il avait compris que compter les secondes étaient une méthode tout à fait adéquate pour éviter d’être en avance. Il y avait des premières fois oubliables, comme la première fois qu’il avait passé une chaussette tout seul à ses pieds… Cela avait dû avoir sa première fois et … s’il réfléchissait vraiment, il pourrait peut-être retrouver le souvenir. Mais ce n’était pas intéressant. Il pouvait donc se souvenir mais n’en voyait pas l’intérêt. Il y avait les premières fois percutantes. De celles que l’on retient et qui nous change. La première fois qu’il s’était retrouvé seul à l’université, entouré d’adulte qui le tétanise et l’effraie. La première fois qu’il avait désiré s’arracher la peau, ou se gifler, pour éviter de faire du mal à Stella. Ou la première fois qu’il avait dû mentir avec un aplomb et un désir farouche d’être cru, auprès de James, son frère. Il y avait donc plein de première fois… Et la première fois de ce jour était de celle qui le chamboule, le dérange, le tétanise et le pousse à crier à l’intérieur même de son esprit, sans avoir la possibilité de le faire réellement.

Aujourd’hui, c’était la première fois qu’il se disputait réellement avec sa mère.

D’ordinaire, il était plutôt adaptative avec sa mère. Elle lui demande d’être un bon enfant. C’était être un bon enfant que de simplement ne pas être là, non ? Donc, il avait fait en sorte de toujours faire ce qu’elle lui demandait. De se cacher dans un coin pour lire. De mettre la table. Quand il devait faire des commissions (même s’il détestait ça), il avait appris à être un magnétophone plus efficace que la plupart des outils technologiques. Il pouvait même refaire l’accent et l’intonation de sa mère, qui demandait simplement à la voisin un peu de sucre. Donc. Marvin n’était pas le genre à se disputer avec sa mère.

Sauf aujourd’hui.

Il venait la voir tous les jours, ou presque. Parfois, il était coincé et ne pouvait pas aller la voir, il finissait par l’appeler. Ou au moins lui envoyait-il un message. Mais ce matin, elle lui avait dit qu’il était URGENT qu’il vienne la voir. Ce matin, elle lui avait dit de venir. Elle savait que c’était son jour de congé, et que donc il POUVAIT. Même s’il aurait préféré pouvoir amener ses dossiers pour pouvoir avancer, ou simplement passer par la librairie pour chercher un nouvel ouvrage sur la Chine Antique qu’un spécialiste lui avait conseillé. Marvin était un peu arrogant, plus intelligent que beaucoup, mais il savait pouvoir apprendre des autres, et avait-il été réellement intéressé de passer son Samedi, entier, à lire le roman de plus de 1250 pages sans avoir pensé à l’urgence.

Parlons-en, donc, de cette urgence qui avait fini en dispute. Pour la première fois de sa vie, on le rappelle. Cette urgence qui l’avait fait venir sans dossier, sans livre et avec la peur que sa mère lui annonce qu’elle n’avait plus que x jours à vivre. Cela aurait été une urgence. Mais à la place, sa mère décréta qu’il devait s’habiller élégamment pour aller diner dehors avec son ancienne prof de danse. La maladie de sa mère se traduisait par une extrême fatigue, de la fièvre parfois et des douleurs qui ne pouvaient pas être supporté sans une dose d’anti-douleur qui assommerait un cheval. Elle avait donc arrêté la danse depuis le temps… Et elle venait de l’envoyer à un repas en « amoureux » dans un restaurant. Et ça l’avait rendu fou.

Parce qu’il n’en avait aucune envie. Pas la moindre. Même pas de loin dans un couloir sombre avec un monstre au cul ! Il n’avait aucune envie d’aller diner avec la jeune femme. S’il la connaissait rapidement, il se fichait pas mal de son existence. C’était dur ? Mais pas sa faute. Il n’arrivait simplement pas à se faire à l’idée que les adultes de ce monde étaient de la même race que lui. Il se sentait toujours comme l’enfant apeuré qui se cache dans les couloirs pour ne pas être écrasé par les puissants. Et là, sa mère voulait qu’il aille manger avec une femme. Il n’en avait pas envie.

Et puis… il avait l’impression que c’était mal vis-à-vis de Stella. Même s’il ne savait pas trop pourquoi. Il n’y aurait très clairement aucun rapprochement avec la jeune femme comme il y en avait eu avec Stella. Rien que l’idée de faire ce genre de contact, même un bisou sur la joue, à une autre, ça le fait frissonner de dégout, d’horreur et d’une pointe d’effroi. Sa mère avait même acheté des fleurs à offrir à la blonde et il avait refusé en les jetant dans la rue. Déjà qu’il trouvait ça stupide d’offrir des fleurs à Stella, il préférait lui faire un jardin, mais qu’il se fasse bouffer par des chiens plutôt que d’offrir des fleurs à une parfaite inconnue.

Et c’était surtout pour ça qu’il s’était disputé avec sa mère. Pas parce qu’il n’en avait pas envie. Sa mère savait qu’il se tapait un repas par ans avec son géniteur pour ses beaux yeux. Mais parce qu’il avait l’impression de trahir Stella. Il ne lui avait jamais parlé de Stella, à sa mère. Parce qu’il voulait déjà réussir à devenir plus « sociable » comme elle le voulait, avant de lui parler de la jeune femme. Et voilà qu’elle utilise un traquenard pour essayer de le faire se mettre en couple. Le pire ? Sa mère avait eu le culot de lui dire que, pour Giulia, la proposition venait de lui. Donc, il ne pouvait pas être de mauvaise humeur. Parce que sa mère avait aussi élevé Marvin pour qu’il ne soit jamais cruel à dessein. Qu’il ne soit jamais vile et face attention. S’il ne parle pas, il ne blesse pas les gens. Mais s’il venait à parler ? Voilà pourquoi il évite de communiquer avec les gens, normalement. Il marmonne des jurons avant de se garer et de sortir. Il arriva au restaurant, ouvrit la porte, leva les mains pour demander une table pour deux, et alla s’assoir sans avoir dit le moindre mot. Ce repas de midi allait être épique. Il finit par la voir arriver. Et alors qu’il la voyait approcher, il se rappela des conseils de Stella pour être poli et eu l’impression de mordre dans du citron.

- Bonjo…. Brrr, c’est vraiment stupide de se saluer ainsi. Il faudrait que je trouve une bonne raison historiquement d’utiliser cette expression. Il faut que vous sachiez mademoiselle, que ce coup a été monté par ma mère, et que je n’ai pas l’intention de sortir avec qui que ce soit.

Parce qu’il sortait déjà avec quelqu’un. Et, malgré lui, malgré tout ça, il eut un sourire radieux à cette idée. Parce qu’il pensait à elle. Toujours et encore, à elle.

(c) princessecapricieuse

Rendez-vous  arrangé !

Ses étudiants ont toujours été très importants pour la blonde, et même s'ils arrêtent de danser, volontairement ou non, elle essaie de garder le contact. Malheureusement, l'une de ses anciennes étudiantes est tombée gravement malade et la jeune femme en est très affectée. Pour Giulia, ses étudiants font aussi partie de sa famille, ce qui explique sans doute pourquoi elle souhaite que ses anciens étudiants aillent bien eux aussi. Aujourd'hui, Giulia est censée dîner avec un jeune homme, le fils d'une de ses anciennes étudiantes. Apparemment, ce serait l'idée du jeune homme, mais elle a du mal à y croire. Pourquoi quelqu'un qui ne la connaît pas voudrait-il dîner avec elle ? Pour faire connaissance ? Bien sûr, c'est une possibilité. Cependant, la jeune femme ne peut et ne veut pas vraiment y croire. C'est peut-être une des raisons pour lesquelles sa vie amoureuse est inexistante.
 
L'Italienne ne savait rien du jeune homme, sauf ce que sa mère lui avait parfois raconté. Et s'il voulait seulement la rencontrer parce qu'il avait perdu un pari ? Il ne sert à rien que la jeune femme y pense trop maintenant, car il n'est plus possible de faire marche arrière. Du moins, pas sans passer pour un monstre sans cœur. Quel était déjà le nom du jeune homme ? Marvin, si Giulia ne se trompe pas. C'est bizarre, c'est la première fois depuis longtemps qu'elle va dîner avec quelqu'un et elle ne connaît même pas cette personne.
 
Arrivée devant le restaurant, Giulia ne sait pas encore si le jeune homme est déjà sur place, mais elle entre quand même. Après avoir pénétré dans le restaurant, elle regarde autour d'elle. La jeune femme sait à quoi ressemble Marvin, grâce à une photo que sa mère lui a montrée. La jeune femme le repère rapidement et se dirige vers la table. Le jeune homme ne semble pas très enthousiaste à l'idée de la rencontrer. En-tout-cas, c'est ce que Giulia ressent lorsqu'elle croise son regard. Dire bonjour ne semble pas être son point fort. Il ne faut pas longtemps, quelques secondes seulement, pour qu'elle apprenne que ce n'est pas son idée, mais celle de sa mère. « Comme je suis gentille, je dis quand même bonjour. » En prononçant ces mots, la blonde essaie de ne pas paraître grincheuse. « Je me doutais bien que ce n'était pas votre idée. » Cependant, Giulia espérait que le repas se passerait bien. « Puisque vous n'avez pas l'air d'avoir envie de vous asseoir avec moi, devrions-nous faire table à part ? » Ce n'est pas ainsi que la blonde avait imaginé cette rencontre.

feat  @"marvin montgomery"

Rendez-vous arrangé

Marvin + Giulia

Cela fut une première fois

- Dire « Bonjour » n’est pas être gentil pour moi. Et ne pas le dire n’est pas être méchant, répondit-il simplement en essayant de s’imaginer ce que dirait Stella dans son cas. Je trouve juste que c’est mentir. Je ne sais pas si le début de votre journée a été « bonne », tout simplement.

Il haussa les épaules. Pour lui, ça signifiait « peu importe ». C’était vrai. Mais il se souvient aussi que Stella lui avait dit que ça lui donner l’impression d’être condescendant…. Il n’était pas ce genre de personne. Même s’il savait être plus intelligent que la plupart des gens, il ne se sent pas arrogant. Il a juste plus de connaissances, et s’en souvient plus facilement que les autres. Il ne pouvait pas faire autrement qu’être « plus » que les autres… mais ce n’était pas de l’arrogance. La question de la jeune femme le surprend, et il prend quelques secondes pour savoir si elle rigole, si elle se moque, si elle est en colère ou autres sentiments qu’il ne comprend pas… Il penche la tête en essayant de comprendre. Il ne comprenait pas l’humanité, il préférait l’Histoire.

- Vous préférez faire table à part ? demanda-t-il avant de pincer les lèvres. Je ne suis pas très bon, ni un homme très sociable, et je suis incapable de comprendre le sentiment qui vous anime… ou ce que vous voulez en réalité.

Et il se demande comment il peut parler à la jeune femme comme ça… D’ordinaire, il stresse, il bafouille et évite de parler, tout simplement. D’ordinaire, il refuserait de dire plus d’une phrase, et encore. D’ordinaire, il se sentirait oppressé et au bord de l’explosion. Mais il ne ressentait pas tout ça. Parce que ça n’avait pas d’importance ? Non. Même quand ça n’a pas d’importance, il stresse de parler aux autres. Parce qu’il pourra ensuite en parler à Stella pour lui demander son avis ? Peut-être. Il ne sait pas. Et aussi, parce que ça fait terriblement plaisir à sa mère. C’était ça. Il était un bon fils… et si ça pouvait aider sa mère qui allait mourir à se sentir un peu plus heureuse, qui était-il pour le refuser ?

- Elle aurait dû vous prévenir, marmonna-t-il. Ma mère va mourir, et elle espère que je change avant la fin et que je me fasse des amis. Je n’ai aucune envie de sortir avec vous, mais si vous supportez l’insupportable, nous pourrions être amis ?

Est-ce qu’il avait trèèèèès clairement copié une phrase toute prête qu’il avait trouvé dans une histoire ? Oui. Mais est-ce que ça changeait quelque chose à la choucroute ? Non. Donc. Il regarde la jeune femme et lui montre la place à ses côtés, pour lui laisser le choix. Le seul moment où une émotion aurait pu se lire sur son visage, fut quand il parla de la mortalité de sa mère.

(c) princessecapricieuse