GHOSTBUSTER

@cheyenne greenshaw — mini mart, mars 2024
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Les doigts tapotent le volant dans un rythme constant. Il n’y a plus qu’à attendre. Encore attendre. Le temps s’égraine sans doute un peu trop. Pourtant, quand Cheyenne arrive, tout s’arrête un instant. Juste un moment. Et les souvenirs reviennent, d’abord les plus heureux. Les rires, les rayons de soleil magnifiés par son sourire éclatant. La chipie, elle l’est d’autant plus. Y’a de l’amour et de la chaleur dans son regard. Je m’y sens bien. Mais l’œil du cyclone s’abrège et le rythme frénétique entraîne les images tristes. Le cœur ardent se fait moqueur, il se déchire sous le poids des pleurs, des mots assassins. Une larme coule, là où mes doigts se crispent à en arracher le cuir du volant. Egaré, capitaine d’un navire sans équipage, la meute était pourtant à quai, ici à Tree Hill.

Alors, quand je la vois entrer dans la supérette, la tête est muette mais les jambes elles, avancent sans se poser de questions. Les klaxons viennent troubler la quiétude de la vie tranquille qui s’écoule ici. J’entre d’un pas ferme, alors que le myocarde s’affole. Je balaye les allées, sans trouver Cheyenne. Les lunettes de soleil n’aident pas non plus. Légumes ? Non. Boissons ? Non plus. Pas l’alcool, non. Elle a l’âge d’en boire ? Brosses à dents, shampoings, préserva… non. Je secoue la tête, les sourcils froncés et la mine décomposée. Pas avant son mariage. Je roule des yeux, esquisse même un sourire et quand j’ai l’impression de la voir, je m’empresse de lui emboîter le pas.

La chevelure brune, le minois mutin, c’est elle. Une fraction de seconde, nos regards se croisent et je tourne le dos, me cachant derrière une pile de boîtes d’haricots en conserve. Et entre les trous, j’observe son visage, à en sourire béatement, sans me soucier des apparences. Un pervers, celui-là. Je secoue la tête, regarde un instant mes chaussures et me redresse, prêt à aller enfin à sa rencontre. Mais elle a disparu. Tu sais ce que ça fait, pas vrai ? La mâchoire crispée, l’œillade hagarde, ça transpire le désespoir. Chipie, où es-tu ?

Les chevaux, c’est facile. Ils sont heureux ? Leurs oreilles son en avant. Ils sont fâchés ? Leurs oreilles sont en arrière. Ils sont vraiment en colère ? Ils tournent le dos. Si vous êtes dessus et qu’ils n’ont pas envie de bosser ? Vous avez des chances de terminer la tête la première dans le sable. Mais s’ils sont de bonnes compositions, surtout pour les juments, là ils vous donnent absolument tout ce qu’ils peuvent vous donner sans aucune contrepartie. Ou peut-être que si ! Ils vous demandent du temps, de la patience et beaucoup de présence en leur compagnie afin de vous faire pleinement confiance. C’est un travail dur, long et acharné que je mène tous les jours avec ces animaux d’une grande puissance, un boulot que les touristes de passage ne sont pas capables de voir en une seule journée. Ils ne voient que la gentillesse de l’animal bien élevé et bien dans ses sabots. Ils ne comprennent pas qu’été comme hiver. Ils sont tout mon univers et qu’un jour loin d’eux, bien qu’apprécié si je peux dormir plus longtemps, me rend nostalgique de leur présence. Un cercle vicieux, sans fin, duquel je ne veux jamais sortir, à moins d’être forcée à rester assise dans un fauteuil roulant. Et là encore, je pense que je trouverais le moyen de continuer à bosser avec eux.

C’est dans l’optique de trouver des friandises, mais aussi m’acheter de la bouffe, que je me retrouve au mini mart du coin de ma rue. Parce que j’achète souvent plus de pommes et de carottes pour les chevaux que de nourritures pour moi, que je mange pas mal de pommes du coup … Et des carottes aussi. Pas super douée en cuisine, j’ai tendance à faire toujours au plus simple et commander à manger quand je peux. Dans le magasin, je me sens tout de suite épiée. Pas à l’aise en présence de foule, je jette un rapide coup d’œil autour de moi pour m’assurer que … Non, il n’y a pas foule. Pourtant, la sensation revient, me fait frissonner, je n’aime vraiment pas ça. Me retournant une nouvelle fois, c’est mon cœur qui trinque, mon cerveau qui plante et mes yeux qui sont certainement en train de voir la pire connerie du monde. Ce gars, je suis certaine de ne l’avoir vu qu’en photo. Un fantôme tous les jours à la maison, depuis trop longtemps, et devenu un véritable nom dans certaines conversations. Une haine qui me révulse, une colère noire qui monte. Brooklyn est un enfant de cœur à côté de Flint. D’ailleurs, le choix est rapide entre les deux ! Brooklyn à le mérite d’essayer de ne pas perdre le fil avec moi, la famille, mais Flint … Il ne mérite même pas que je le regarde ! Pourtant, c’est la colère qui parle quand je me dirige droit sur la pile de conserves qui lui sert de cachette, les yeux lançant des éclairs : « Flint Greenshaw ! » Je souffle froidement sans élever la voix, un truc que j’ai appris avec les chevaux à nouveau, rester calme dans mes colères. Parfois ça fonctionne.
J’arrive droit sur lui, rivant mes yeux dans les siens, alors que le sourire qu’il laisse apercevoir me rend encore plus … énervée. « T’as cru que t’étais attendu ?! Ca fait longtemps que j’ai cramé les quelques photos qui me désignaient ‘’mon frère’’ ! Dégage, je n’ai rien à te dire. »

@Jeb Greenshaw  

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@cheyenne greenshaw — mini mart, mars 2024
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Le regard épieur se piège dans le jeu des souvenirs. Pas vraiment flous, mais bien édulcorés. La princesse avait bien grandi. Chipie, elle l’était sans doute restée. Alors, je l’imagine, l’idéalise. Je m’en souviens. Elle, au ranch. Son rire et ses moues invraisemblables. Son talent indéniable de cavalière, son habilité à parler aux chevaux dans leur langue. La petite plante avait poussé bien loin de l’arbre maudit de la mère Greenshaw. Sa tombe était devenue un deuxième domicile, comme si le temps perdu pouvait être retrouvé. On n’égare pas le temps, il s’égraine et s’envole. Et me voilà à appliquer les méthodes militaires pour revenir parmi les miens. Etudier le terrain, surveiller les cibles. Mais là, c’était l’embuscade qui guettait.

La benjamine prend pommes et carottes. Comme au ranch. Elle se fait passer en dernier. Et quelque part, j’étais heureux qu’elle se soit retrouvée là-dedans. Loin des hommes et de leurs problèmes. Elle avait son refuge, et ça me réchauffait le cœur, qui se déchirait très vite, parce que je contribuais à ceux qui l’avaient poussé à avoir un jour besoin d’un abri. Un instant, elle disparait de mon champ de vision. Et quand je pense l’avoir retrouvée, je sens son regard sur ma cachette. Les œillades se croisent, l’une cherche l’amarre et l’autre, la noyade. L’échappade n’a plus lieu d’exister. Les éclairs s’envoient et le tonnerre dans sa voix gronde. Le myocarde soubresaute, se serre, et pourtant je ne peux retenir le sourire niais qui étire mes lèvres.

On dit que la foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit, mais c’est une succession d’éclairs qui me traversent. Brûle le souvenir, brûle l’espoir. Tout s’est consumé, pas vrai Chipie ? Y’a plus que la cendre, son odeur et son goût dans son cœur. Mais c’est dans le pire fumier que sortent les plus jolies roses. Et la benjamine piquait, très fort. « Tu m’attendais ? » Je penche la tête, l’air surpris. Paraît que quand on brûle quelque chose, ça reviendrait à invoquer l’esprit, ou le fantôme. Peut-être que c’était son dessein, inconnu même d’elle. Je me place devant elle, lui barrant le passage, coincée entre moi et les boîtes de tomates. « Je crois que t’as trop à me dire. » Je prends ses courses de ses mains. « Pas vrai, chipie ? » Penché légèrement vers la sœur égarée, espérant ne pas l’avoir totalement perdue.