Des semaines se sont écoulées depuis que mes amies et moi avons fêté mon anniversaire avec deux mois de retard. Anniversaire qui aura mal commencé je l’admets. Mal fini aussi, parce que j’avais oublié ce que c’était que la gueule de bois. Je n’avais même pas fermé les rideaux de velours que le soleil est venu m’agresser les rétines. Et là je me suis rendue compte que je n’étais pas dans ma nuisette de soie, que je n’avais pas mon masque de nuit, que j’étais encore habillée de ma tenue de soirée. Qu’en me levant avec la grâce d’une octogénaire, j’ai manqué de me rompre le cou en ayant peu d’équilibre. Et surtout le mal de crâne. J’avais clairement oublié que c’était aussi douloureux et nauséeux. J’en aurais presque envie de dégobiller mais je n’en ai pas eu le choix parce qu’en descendant les escaliers de la maison, j’ai aperçu au travers de la fenêtre du hall que ma voiture était plantée devant le portail fermé. Et là, je n’ai pas compris. Ou plutôt si, j’ai réalisé que la soirée avait été dans les excès et que j’avais beaucoup trop bu. Puis, ensuite je me suis mise à hurler en découvrant mon reflet dans le miroir, à me rendre compte que mon maquillage avait coulé, que ma crinière de soleil n’était qu’un amas bouffi de cheveux emmêlés, que mon téléphone était pété et ne s'allumait plus. Que mon chihuahua moche était toujours en vie et que son jappement strident m’empêchait clairement de me concentrer et d’essayer de me rappeler au mieux de ce qu’il s’était passé la veille.
Alors je me suis assise sur l’une des marches de l’escalier de marbre qui m’a refroidi les fesses par sa froideur et j’ai essayé de comprendre. J’ai foutu quoi là ? Oui j’ai bu mais quand même. Oui, je me suis amusée. Et c’est alors que les souvenirs ont commencé à revenir. Que délicatement mes doigts se sont posés sur mes lèvres. Et je me suis souvenue… Avant de me lever brusquement et d’aller vomir tout mon soul dans les toilettes de services du rez de chaussée.

Mais ça, c’était il y a deux semaines.
Et aujourd’hui, je suis une personne neuve qui est heureuse de sa vie parfaite. Je n’ai pas arrêté de travailler comme une acharnée et les évènements à organiser se sont enchaînés. Mieux encore, Peter a fait la surprise de débarquer à la maison, quelques jours après ça, avec des billets d’avion première classe pour nous deux. Tout compte fait, il n’a pas oublié mon anniversaire mais a été pris par le travail. Forcément, je lui ai immédiatement pardonné de ne pas avoir été à ma soirée, j’ai compris parce que je sais combien son rôle est primordial dans l’entreprise. Puis les roses qu’il m’a offerte avec les billets… Il a le don pour connaître mes gouts. Et nous nous sommes donc envolés pour les Maldives durant une semaine où j’ai pu profité de la piscine, où j’ai amélioré mon bronzage en plein hiver pendant que le tiers monde se gèle les miches. J’ai pu profiter de mon fiancé dans tous les sens du terme. Je l’aime comme une dingue et nous allons avoir un mariage parfait. Et aujourd’hui, rien ne peut entacher cette bulle dans laquelle je suis, une bulle d’amour et de zen.
Rien…
Rien. R I E N.
« Alors écoute moi Stacy parce que je ne vais pas te le répéter. » Je m’époumone alors que je suis au volant de ma voiture en train de traiter un problème d’une urgence critique. « Ou alors, si tu me forces à me répéter, je vais te le dire en norvégien. Mais quand un client t’indique dans sa liste qu’il ne faut pas du saumon parce que son épouse - avec qui il organise - ses cinquante ans de mariage est allergique au saumon. Tu sais, le saumon. Le poisson rose ? Celui que tu manges en sushi, en tartare ou peu importe…  » Je prends une seconde pour reprendre mon souffle et hurler « POURQUOI LA MAISON DU SAUMON M’APPELLE POUR LA COMMANDE DE 15 KILOS QUE JE N'AI PAS PASSÉ ?! » Stacy est une sotte et je sens que je vais la virer sur le champ. Incroyable de bosser avec tant d’incompétents comme ça. Ce n’est plus possible surtout lorsqu’elle me répond que ce sont les directives qu’elle a eu. Et les directives ne peuvent venir que de moi. Et ça m’agace parce que ça sous entend des tas de choses. « Tu dis que c’est de ma faute ?! » Je lui dis interloquée, levant même les mains en l’air dans un mouvement théâtral de stupéfaction. Sauf que je suis en voiture et en train de rouler. Donc ce n’est pas très fin. D’ailleurs, la voiture se met à sonner dans tous les sens. « Rhhaaa la ferme la Tesla ! » Je braille en me disant que je déteste cette voiture, mais que comme l’autre est au garage, je ne peux faire autrement que de rouler dans cette voiture silencieuse qui bip pour n’importe quoi. Et ça m’enrage encore plus, me pousse à me garer sur le bas côté de je ne sais où je me trouve, suivant le GPS qui m’indique un raccourci. « Donc c’est de ma faute !? Je vais regarder tout de suite. » Et je coupe le moteur. Puis, j’entreprends de sortir mon Ipad où tout est enregistré parce que c’est la modernité. Et je regarde ce qu’il en est, regardant les notes du départ que j’ai noté lorsque j’ai rencontré mes clients la toute première fois. Et là je vois « SAUMON » noté en gros et en entouré d’un cercle rouge. « C’était écrit !!! » J’ajoute de mauvaise foi parce qu’au fond, le fait de le marquer ne veut rien dire. Je soupire, un peu moins énervée je l’admets. « Bref, va falloir trouver une solution pour ne pas gaspiller tout ça. Trouve-là. » Et je raccroche sans  parce que mon assistante m’a agacée, atténuant tout le bénéficie d’une semaine de rêve. Ce n’est pas que mais j’ai un rendez-vous. Et je vais être en retard. J’appuie sur le démarreur de la voiture mais rien ne se passe. D’ordinaire, le ronron discret et la vibration légère me prévient que la voiture est allumée. Mais là… Rien. J’appuie encore. Puis plusieurs fois de façon précipité mais rien. Et pourtant elle est censée avoir de la batterie. « Rhaaaaa j’en ai marre. » Je prends mon téléphone dans mon sac à main. Et c’est alors que mon œil capte au dehors que je suis garée pile devant un garage. Dans mon malheur j’ai de la chance. Aussi, je sors de la Tesla et me dirige dans un claquement de talons, mon sac à main au bras et j’avance dans un lieu qui, je l’espère, est bien entretenu. Il ne faudrait pas que ma précieuse semelle Jimmy Choo se noie dans une flaque d’huile de moteur. Et là j’aperçois un garçon. Je dis garçon parce qu’il a l’air jeune. Assez pour être grand mais pas assez pour être le genre d’homme viril qui attire mon attention. « Desolée, ma voiture est en panne et je ne sais pas comment la démarrer. » C’est étrange sa tête me dit quelque chose. Mais où l’aurais-je vu ? « C’est une Tesla » Je précise pour qu’il comprenne que je ne suis pas le genre de nana débile qui mélange l’essence et le diesel.

@Jace Weris