"Il manque quelque chose dans cette pièce. Je ne sais pas encore quoi ! Mais il manque définitivement quelque chose..."
Samedi, 16h00, Eliana et moi sommes côtes à côtes, bras croisés, à fixer l'étendue de notre salon, dubitatives. Nous nous sommes enfin décidées à finir de déballer nos cartons et à aménager notre nouvelle maison. Tom nous a donné le feu vert pour commencer à faire des changements et des travaux si nous le souhaitons. Au début mon ami vivait avec nous ici-même mais je crois que c'est devenu difficile pour lui de nous voir habiter à l'endroit où il a grandi. Il passe à présent la plupart de ses nuits chez sa petite-amie. Cela n'a pourtant en rien affecté la confiance qu'il a en moi et le travail qu'on accomplit ici. Il est juste normal que ce soit douloureux pour lui de faire son deuil. Nous discutons souvent ensemble de sa mère, du domaine et je lui fais part de tous mes futurs projets pour cet endroit, que ce soit au vignoble comme à la maison. Mais là présentement ce salon me pose problème.
"On pourrait peut-être ajouter un bureau dans le coin là?"
"Mouaiiis, j'ai peur que ça fasse beaucoup de meubles les uns à coté des autres avec la bibliothèque qui se trouve déjà de ce coté du mur."
"Ooooh d'accord, en fait ce que tu aimerais ce sont des rangements mais dans des meubles invisibles !"
"Ahaha ! Je ne répondrais même pas à cette remarque impertinente, jeune-fille !"
"Aïe, c'est toujours mauvais signe quand tu m'appelles jeune-fille !"
"Tu risques d'être punie pour auuuu moins les deux prochaines semaines à venir. Plus de livres, plus de café le matin et tu peux dire au revoir à tes rêves de maison en gruyère."
"Oh non pas la maison en gruyère c'est cruel ! Je reste toujours persuadée qu'un jour on arrivera à en construire une."
Nos disputes mère/filles ressemblent toujours plus ou moins à cela. On part sur un léger agacement et ça finit toujours en discours totalement absurde. C'est notre dynamique qui est ainsi. Il faut croire qu'on est un peu cinglées.
"Ou sinon, on pourrait aussi fixer des étagères directement au mur."
Mais oui bien sûr ! Pourquoi est-ce que je n'y ai pas pensé plus tôt ?
"Ma chérie, tu es officiellement le Cortex de mon Minus !"
C'est parti à présent pour prendre les mesures. Il nous faut encore environ une demi-heure pour nous mettre d'accord sur le nombre d'étagères, leurs dispositions et leurs longueurs, tout débat amenant une nouvelle fois son lot de loufoqueries.

Une heure plus tard, nous retrouvons notre duo de choc au magasin de bricolage. Mais avant d'arriver nous avons fait un stop chez le marchand de glace si bien que nous passons un certain temps à pointer du doigt les bouts de bois qui nous plaisent avant de pouvoir nous mettre sérieusement au travail. Le premier débriefe est cependant convaincant. Le même type de planches nous plaît à peu de détails près et je laisse Eli avoir le dernier mot. Après tout c'est elle qui a eu l'idée des étagères. Le noyer validé et les planches sur notre caddie nous passons maintenant au plus difficile : les vis et les équerres.
"J'aimerais bien trouver des vis autoperçeuses, ça serait plus simple et ça tient mieux dans le mur. Est-ce que tu vois un vendeur Eli?"
"Nop pas de gilet orange à l'horizon."
Les gilets oranges sont justement ceux que portent les gens qui travaillent ici mais force est de constater que ma fille à raison. Il n'y a pas âme qui vive ici si ce n'est un homme qui est lui-même en train de faire ses amplettes et qui nous regarde de temps en temps du coin de l'oeil comme si ça le démangeait de faire un commentaire.
"Les voilà !" je finis par trouver les vis recherchées mais me retrouve devant un nouveau dilemme à présent. Est-ce qu'il vaut mieux des chevilles en plastique ou bien en métal ?  Ok j'ai toujours fait avec les chevilles plastiques et elles coutent moins chères alors mon choix est fait et je repose le second paquet. Quand je me retourne, je me retrouve le nez écrasé contre le torse notre homme. "Hé, oh pardon de vous être rentré dedans mais... vous êtes bien près !" je lâche un peu perturbée.

 @Clay Hollingworth