Monte Carlo 2017

Dans la vie, il ne faut jamais dire jamais. Ne jamais croire que tout est solide, intangible, que rien ne bouge alors qu’en réalité, la vie est un mouvement perpétuel. J’ai cru que je ne pourrais jamais  aimé quelqu’un d’autre que Maggie. Qu’il ne pouvait y avoir qu’elle et moi, unis pour le reste de nos jours. Mais la vérité c’est que rien est solide. Et du jour au lendemain, tout peut basculer.
Il suffit d’un infime battement d’aile. L’instant fugace d’un regard qui se croise et tout change, tout finit par devenir même effrayant. Un sourire simple et tout se perd, tout se déconstruit. Et si encore aujourd’hui, je m’en veux terriblement. Même si je voudrais que rien ne se soit produit. Qu’au fond, il serait mieux de revenir en arrière et de toute effacer. Au fond de moi, au fond de ma putain de conscience, il y a une petite partie de moi qui se rappelle de toutes ces secondes, ces minutes, ces heures à vivre autrement. A apprécier la légèreté de ce qu’il se passait. Cette excitation de l’interdit et du renouveau : jamais, je ne me suis senti aussi vivant.

Ça s’est passé il y a sept ans. Un soir plus précisément durant lequel je ne sais plus pourquoi nous sommes dehors, dans ce casino à Monte Carlo. Le luxe qu’il y règne nous éclate et nous cessons pas de rire comme ces adolescents qui auraient laissé une boule puante dans le sac de quelqu’un. La seule différence est que nous sommes plus adultes qu’ados, que Maggie est tout simplement magnifique. Sa chevelure lui tombe en cascade sur ses épaules et cette robe noire épouse une silhouette qui est, pour moi, parfaite. Je n’ai d’yeux que pour elle et jusque’à ce jour, plus aucune femme n’a obtenu un seul regard de ma part, à moins que ça ne soit que purement professionnel. Je suis un homme heureux de ma vie, dont le coeur est comblé par cette personne qui est en train de jouer au blackjack et qui donne ses jetons au croupier et se lance dans une nouvelle partie. Ayant échoué au poker, c’est à son tour de claquer le peu d’argent que nous avons choisi de dépenser ce soir. Maggie s’est sentie de nature joueuse et m’a demandé si j’étais cap de jouer un jeu de rôle où nous serions un couple marié en pleine lune de miel et prêt à dépenser un argent fou. La réalité est autre mais je n’hésite jamais quand il s’agit de me lancer dans ce jeu de tordu et j’aime tellement quand nous sommes dans cette bulle, dans ce monde où tout est possible, y compris de devenir une nouvelle personne, quitte à se créer une identité qui n’a rien à voir avec ce que nous sommes.
Et le pire, c’est que le reste du monde n’y voit que du feu et ça nous amuse tellement. Je ne peux m’empêcher de pouffer de rire devant les manières de Maggie qui en fait des tonnes. « Chéri, crois-tu que nous puissions racheter quelques jetons avec ta black card ? » Susurre-t-elle de ce ton guindé, me poussant à répondre de la même manière. « IVoyons, chérie, tu sais qu’il n’y a rien que je puisse te refuser. » Le sourire espiègle que je lui lance, reçoit le même de sa part. Et le pauvre croupier qui n’y voit que du feu et qui doit penser que nous allons permettre au casino de faire son chiffre quand nous avons misé quelques centaines d’euros. Ne pouvant retenir le rire qui menace de franchir mes lèvres, je me détourne alors pour ne pas éclater comme un idiot et regarde les lieux avec attention, sentant que ma compagne n’est plus très loin du fou rire.

C’est alors que je la vois pour la toute première fois.
Tel un mirage, l’impression de tomber dans un rêve éveillé et de ne plus discerner du vrai du faux. J’ai tout à coup très chaud et mon coeur se met à battre la chamade. Vous savez le genre de battement que vous avez lorsque la fille que vous aimez se penche vers vous pour déposer ses lèvres sur les vôtres dans le plus agréable des premiers baisers. C’est un peu la même chose mais je ne le percute pas ainsi. Je me contente de la fixer, presque hypnotisé. pourquoi elle ? Et pas une autre ? Ou un gars ? Ou une célébrité comme on a vu depuis que nous sommes ici. Je sens que mon ventre fait des sauts périlleux et c’est indescriptible toutes les émotions qui me traversent alors que je suis en compagnie de mon amour d’enfance, que nous sommes dans notre bulle.
Et pourtant, j’en oublie presque ce que je fous ici. Mes yeux détaillent chaque trait de ce visage, de la chevelure sombre et ondulée, à cette peau de miel aimant le soleil j’en suis sûr. De cette bouche qui appelle à la plus grande des fautes. C’est comme si tout s’éteignait autour, que le son se coupait, que le monde lançait son projecteur sur une inconnue. Et c’est perturbant, c’est grisant. C’est un tout mélange d’émotions confuses. Je ne sais pas trop quoi penser et de toute façon, mon esprit est bien trop engourdi pour aligner une pensée cohérente. C’est la voix de Maggie qui me ramène à la réalité « Mon coeur… » Sa main posée sur mon avant bras, je reviens sur terre et réalise qu’elle a dû me le secouer délicatement. J’ai l’impression de m’extirper d’un réveil comateux, une sieste de quatre heures qui me fait sortir d’une torpeur lente. « Desolé, j’étais dans la lune… » Et Maggie me renvoie ce sourire éclatant et tellement empli de confiance absolue. Celle qui me rappelle que je lui donne ma vie s’il le faut. Et je sache alors cette brune de mes pensées vaseuses. Encore remué je l’admets. Mon cœur bat comme un fou ne réalisant ce qu’il s’est passé. J’ose un regard vers l’endroit où je l’ai vu mais elle a disparu. Certainement ai-je rêvé ? Ou alors j’ai abusé du champagne que je n’aurais pas pensé si fort pour me faire voir ce genre de mirage

@Bianca Flores