Le son cohérent avec l'odeur

Stella & Josh

-Le but de la vie, c'est de vivre avec un but-

- Juillet 2024 –
« Il faut t’habituer mon grand, ou tu vas devenir fou », que dis sa psychiatre. « Il faut que tu t’entraines », qu’elle lui disait. Josh n’était pas d’accord. Ce dont il avait réellement besoin, c’était de retourner dormir pour se réveiller deux ans en arrière. Il se réveillera avec une jambe cassé, une commotion cérébrale et Dieu seul sait quoi d’autres, à cause de sa chute, mais au moins, il serait toujours en 2022. Il n’avait pratiquement rien vue de 2022, Janvier et février il croit, il n’est jamais sûr. Il n’avait rien vu DU TOUT de 2023. Cette année était passé à la trappe. Il n’avait rien vue, ça n’existait pas chez lui. Et il avait loupé pratiquement trois mois de 2024. C’était flippant. Il n’aimait pas ça. Alors, quand sa folle de psychiatre (parce qu’elle est entamé du cerveau, elle devait vraiment aller consulter aussi, ou augmenter ses doses de médocs) lui disait qu’il devait 1. Faire le deuil de l’ancien Josh. Ce qui sous entends d’accepter que pendant les deux ans qu’il a passé dans les bras de morphée, il soit mort. 2. Accepter que le monde ait tourné sans lui,  sans en perdre pied. Facile à dire quand le monde change si vite. 3. Comprendre que les relations étaient maintenant chamboulées. 4. Arrêter de faire des listes des nouvelles choses qui lui arrivent. Il soupire. Il se trouvait, comme pratiquement tous les jours, sur un banc devant la sortie de la crèche. Il était là, aussi, parfois pendant les récréations.

Sa maladie, la synesthésie, était une maladie mentale qui vient à partir de son esprit. Son cerveau ne traduisait plus les odeurs qu’en odeur, mais en son. Ainsi, même s’il ne le voulait pas, il était toujours assaillit par les odeurs dans ses oreilles, au point de parfois, rêvé de s’en percer les tympans. Il sait que ça ne sert à rien. Mais parfois, la maladie était tellement forte, tellement incommodante, qu’il perdait l’esprit et avait juste besoin que le son se calme.

Et il avait dû s’entrainer. Cela faisait 4 mois qu’il était revenu, et même s’il avait envie de hurler la plupart du temps, ses crises avaient été diminué de moitié. Avant, il en faisait une tous les jours, la première semaine qui, couplait avec le fait que tout était nouveau, avait été la plus dure. Puis, c’était une tous les presque jour. Parfois, il avait une journée de répit et essayait ainsi de faire ce qu’on lui interdisait (comme sortir). Maintenant, il dirait qu’il en avait au moins trois par semaines. Les crises, comme il les appelait, était simplement le fait que son esprit se mettait à lui faire sentir TOUTES les odeurs dans une cacophonie qui l’assaille. Chaque odeur avait son son. Et chaque son était audible par lui. Sauf que, quand il n’y avait qu’une odeur, comme le désinfectant qui avait un horrible son d’une craie que l’ont écrase contre un tableau noir, il pouvait se concentrer respirer. Et il avait appris, maintenant, que TOUT avait une odeur. Ainsi, sa psychiatre lui avait conseillé de se focaliser sur une odeur / un son, et d’essayer de se concentrer dessus pour la faire disparaître de son esprit. Sa psy pensait, à raison mais il ne dirait pas, que le fait que son esprit arrivait à faire cette traduction « de l’odeur vers le son », lui permettait de sentir beaucoup plus. Il était devenu un chien renifleur. En réalité, c’était simplement parce que l’humanité avait plus de facilité à « trier » les sons que les odeurs. Les chiens pouvaient voir une différence entre les excréments de l’un ou de l’autre. Les humains trouvaient simplement que ça sent la merde. L’inverse, les chiens avaient du mal à comprendre les sons différents. Pour eux, un son strident était pareil, qu’il soit le son d’un téléphone ou d’une alarme. S’il pouvait les définir, il ne pouvait pas réellement en attester des différences. (bien sûr, on ne parle pas des aboiements qui, eux, était comme la voix d’un humain, différenciable). Par exemple ; un chien reconnaitra la voix de ses maîtres, mais ne pourrait pas reconnaître une voix dans une série télévisé. L’humain, lui, le pouvait. Certaines personnes mieux que d’autres… mais c’était plus simple. Et bien que Josh n’ait jamais aimé la musique, il savait différencier les notes, sans pour autant les nommer, parce qu’il s’en fou prodigieusement. Il savait juste faire la différence entre un si et un Sol de flûte ou de piano… Et selon sa psychiatre, s’il s’entrainait à entendre les bruits, à les trier, à les cataloguer, alors il pourrait être un bon chien renifleur.

Ce qui emmerde Josh. Parce qu’il n’avait jamais voulu être un animal. Encore moins un chien. Il n’aime pas particulièrement les chiens. Il n’aimait pas les dents des chiens, ni leurs pattes, ni même leur fascination pour lécher le visage des gens. Il préférait les chats. Et les chats, eux aussi, avaient un bon odorat et une ouïe plus affiné. Sauf qu’il s’en battait les reins. Il soupire. La crèche sonne. Son casque était posé à côté de lui sur le banc, et il écouta à nouveau le son des enfants. Les enfants, avait-il remarqué à force de chercher à s’enfuir, étaient les seuls dont le son concordait avec ce qu’ils sont. Parce que sa maladie n’était pas logique, un enfant, surtout qui sortait de cette crèche en particulier, avait le son d’éclat de rire. Et il aimait bien ça, Josh. Alors, depuis une semaine déjà qu’il l’avait remarqué, il venait, il s’assoit, et il écoute les sons et l’odeur qui vont de pair. Il ne regarde pas les enfants la plupart du temps. Il y a même des fois où il se couche sur le banc et s’endors. Sa psychiatre avait raison, mais il ne lui dirait pas. Se concentrer sur une odeur en particulier lui permettait de ne pas perdre la tête. Et même si dormir en écoutant des enfants rire, c’était étrange, c’était beaucoup mieux que ce qu’il avait en ce moment. Il dormait avec un oreiller rempli de lavande. La lavande avait le bruit de la pluie. Tout comme ses affaires qui avaient fini par sentir l’odeur et le son. Il trouvait cela reposant. Les enfants sortirent. L’odeur arriva. Et il sourit pour lui-même alors qu’une nouvelle odeur apparu à proximité de lui. Il l’entendit. C’était le son… du sable qui coule d’un sablier. Perturbant. Il releva les yeux pour voir une femme inconnue à proximité, et le son devient plus fort. Il jura entre ses dents en se relevant.

- Désolé pour le juron, s’excusa-t-il tout de suite, votre son m’a pris au dépourvu.

Et disant cela, il attrapa son masque pour le mettre sur son nez et entendre la pluie revenir. L’odorat d’un chien, il lui en foutrait lui. Il n’avait pas vue l’inconnu approché avant de la voir. Ou alors arrivait-il vraiment à se concentrer ? Lui ? Le mec qui ne sait jamais s’arrêter et ne fait que courir dans tous les sens ? Il arrive à se concentrer sur une chose ? Bah. Pourquoi pas. Après tout, il était mort pendant deux ans, il pouvait aussi devenir Maître Oogway.

- Je peux vous aider ? proposa-t-il en penchant la tête sur le côté, incapable de comprendre pourquoi une inconnue viendrait lui parler, et une adulte en plus.

(c) princessecapricieuse

Le printemps...c’est bel et bien ma saison préférée. Il commence à faire beau, soleil, sans que la chaleur soit encore insupportable comme en plein été. Nous laissons sortir au maximum les enfants pour jouer dans notre cour, même en plein hiver, bien couverts bien sûr, mais c’est tellement plus agréable depuis quelques jours. Adieu les gros blousons, les écharpes et les bonnets. Bientôt nos petites têtes porteront leurs casquettes à la place de tout cet attirail hivernal. On ne va pas tarder à sortir aussi les crèmes solaires mais pour le moment le temps est clément, les températures agréables et la bonne humeur et les rires de nos bambins sont bien présents.

L’heure de la sieste, et de la pause pour Toni et moi, est terminée. Les petits vont se réveiller chacun leur tour. Nous en avons qui ont besoin de dormir plus longtemps, d’autres pas du tout ou très peu. Changement des fesses, préparation des biberons pour les bébés, des goûters pour les plus grands, petit gilet sur le dos nous pouvons enfin les sortir. Notre vigilance est bien sûr à son maximum. Nous avons des bambins de tous les côtés, ça rampe, ça court, ça grimpe, ça se pousse, par accident ou pas, ça rit, ça pleurniche...nous sommes bien sûr à l’affût du moindre petit problème. Ça ne m'empêche pas de repérer un jeune homme assis sur un banc en face de notre crèche. Ça n’a rien d’anormal en réalité sauf que ça fait déjà quelques jours que j’ai repéré ce même homme assis sur ce même banc, qu’il revient tous les jours et qu’il reste ici plusieurs heures. Je n’en ai pas encore parlé à Toni, je n’ai pas envie de l’inquiéter inutilement, même si depuis mon “agression” je suis plus méfiante. Je suis décidée à aller parler à cet étranger à la fin de la journée, quand tous les enfants seront partis, s’il est toujours là bien entendu.

La journée se termine donc tranquillement. Nous rendons chaque enfant au parent qui vient le chercher. Nous terminons de mettre de l’ordre, de ranger chaque chose à sa place, puis vient le moment de rentrer aussi chez nous. Toni ne tarde jamais le soir car elle doit récupérer son fils elle aussi. Je vérifie que tout est en ordre avant de quitter moi aussi la crèche. Je prends mes affaires et me dirige vers la sortie, puis vers le fameux banc toujours occupé, ma main posée sur la bombe lacrymogène dans ma poche, au cas où...il est bien sûr surpris de me voir l’approcher et se lève en jurant je ne sais quoi. Il s’excuse aussitôt, ce dont je me moque éperdument, et avant que je puisse lui demander ce qu’il fait là c’est lui qui me demande s’il peut m’aider. Je le regarde rapidement, réalise qu’il a une tête d’ange et de gamin mais ne nous fions pas aux apparences...même s'il penche sa tête sur le côté comme le fait souvent Marvin...c’est sur un ton assez agacé que je lui demande à mon tour...

Je peux savoir ce que vous faites sur ce banc tous les jours ? En face d’une crèche...j’aurais pu alerter la police mais j’ai choisi de vous écouter avant de le faire !! Je n’affiche pas mon air le plus sympathique et je regrette presque d’être venue lui parler. Après tout il peut me répondre tout et n’importe quoi !!

Le son cohérent avec l'odeur

Stella & Josh

-Le but de la vie, c'est de vivre avec un but-

Il ne se sentait pas adulte, lui. Josh avait 24 ans… mais déjà, il était un garçon, donc question maturité il avait un retard… plus les deux ans qu’il avait passé lui donnant l’impression d’en avoir toujours 22… plus le fait qu’il n’avait jamais été le plus mature des hommes… il se voyait plus comme un ado-adulte que comme un adulte. Ainsi, la jeune femme, qui était plus vieille que lui sans nulle doute, l’intimidé. Il pencha la tête sur le côté encore. Le bruit de la pluie, comme une brume liquide qui se déverse sur le sol. Il n’avait jamais réellement aimé le bruit de la pluie, pas plus que l’odeur de la lavande, mais tout de suite, il savait que ça le sauver de bien plus d’un tracas.

Bref, ce n’était pas le moment de penser à cela alors qu’une inconnue dont il n’avait pas su définir l’odeur (ce que ça peut l’agacer de ne plus savoir sentir avec le nez mais sentir avec les oreilles)(même cette phrase lui semblait conne, à lui qui savait la vérité !)(Bordel, ne pouvait-il pas se concentrer deux petites secondes ?). DONC. Il regarda la jeune femme et son évidente méfiante vis-à-vis de lui. Et il ne comprit pas qu’est-ce que ça pouvait faire qu’il vienne dormir sur un banc à côté d’une crèche. Ni ce que pouvait avoir la police à faire dans cette histoire. Il se rassoit. Il n’avait jamais vraiment réfléchit à comment expliquer son soucis. La plupart du temps, il fait semblant que tout vas bien. Qu’il n’a pas envie de se mettre un couteau, une tige, ou quoi que ce soit d’autre au fond de ses oreilles pour arrêter le bruit. La seule chose qui l’empêche réellement était les paroles de sa psy. Même s’il venait à boucher ses oreilles, il continuerait d’entendre. C’était son cerveau qui avait un problème et traduisait les odeurs en son. Il n’y avait aucun rapport avec ses oreilles. Et même si les bruits étaient parfois insoutenables, il n’y avait rien à craindre pour ses tympans. Il soupira.

- J’écoute, qu’il soupire alors en laissant ce geste lui donner une nouvelle vague de pluie dans les oreilles. Les enfants sont les seuls qui ont le même bruit que leur odeur. En tout cas ici. Je ne sais pas exactement pourquoi. Peut-être une odeur qui se dégage, une colle utilisait, ou qu’importe… mais quand je vois des enfants rirent, je les entends aussi sans avoir l’impression de devenir fou.

Il finit par hausser les épaules. Même pour lui, ça n’était pas logique. Il devrait s’entrainer à expliquer sa particularité dérangeante à des inconnus tiens, ça pourrait être un nouveau jeu.

- Et je crains que la police ne soit au courant de mon état. Au pire, ils me diront que je ne dois plus venir mais c’est plus facile à dire qu’à faire. Il n’y a qu’ici que je suis assez loin de mes parents pour pas qu’ils me couvent comme un bébé, mais assez prés pour qu’ils n’appellent pas la garde nationale. Et que j’arrive enfin à souffler.

Il imagine un instant la réaction de sa famille s’il devait encore disparaître… par égard pour ses parents, il avait même accepté que l’on mette un GPS sur son téléphone pour qu’ils puissent savoir où il est… Bon. Inutile s’il n’a plus de batterie, l’oublie ou bien tout simplement le perd… mais il n’avait pas voulu débattre sur la crise de panique de ses parents et acceptait d’être pisté. Il se poussa pour faire de la place à la jeune femme, sans la moindre arrière pensée, simplement parce qu’il est gentil.

- Je continue à les entendre, même sans les enfants. Devenir fou c’est vraiment perturbant.

Il avait à peine relevé son masque et il pouvait entendre le son des rires d’une école. Et c’était étrange. Et déprimant. Parce qu’il n’y avait plus personne. Pourtant, il continuait à entendre le rire… et il suffirait de peu pour que les rires qu’il n’entend deviennent flippants. Il remit son masque.

(c) princessecapricieuse

Ho mon dieu, je crois que je viens de tomber sur le gros lot en terme de folie !! Mais qu’est ce qu’il raconte !! Je trouvais déjà louche de le voir tous les jours assis, voire allongé, sur ce même banc en face de notre crèche, mais sa réponse n’a rien de rassurant, bien au contraire. Un cinglé, je suis en présence d’un vrai cinglé, c’est évident. Comme quoi il ne faut vraiment pas se fier aux apparences, avec sa bouille d’ange, de gentil. L’entendre me parler de l’odeur des enfants me conforte dans mon choix d’être venue lui parler, enfin quoique je me dis que j’aurais sans doute mieux fait d’appeler la police.

L’odeur des enfants ? Mais vous êtes complètement barge vous !! Je vous conseille vivement de ne plus revenir ici sinon je vous assure que c’est à la police que vous aurez à faire.

D’ailleurs en parlant de la police, vu ce qu’il dit il doit déjà être connu de leur service, ce qui ne me rassure pas davantage. Les fous ne sont pas tous enfermés. Plus ça va plus je le sens nocif, et si je suis là d’abord pour la protection de nos enfants, je ne me sens pas du tout en sécurité en face de cet énergumène, resserrant machinalement ma main sur ma bombe lacrymo, prête à la sortir s’il venait à faire le moindre geste douteux. Je ne comprends pas vraiment ce qu’il veut dire au sujet de ses parents et je reste sur ma première position, autrement dit qu’il est cinglé et dangereux.

Bon écoutez moi bien, je suis en général assez patiente mais là je pense qu’on va s’arrêter là. Je vous demande gentiment de ne plus revenir, trouvez-vous un autre banc, loin des enfants en général. Si je vous revois ici je serai beaucoup moins gentille.

Et le voilà qu’il parle à présent lui-même de folie !! Et puis cette façon de pencher la tête sur le côté qu’est-ce que ça peut m’agacer !! Autant je le tolère chez Marvin autant chez lui c’est insupportable. J’ai bizarrement le sentiment d’être face à un pédophile en puissance. Je pense que je devrais tout de même prévenir la police de la présence d’un individu pas clair du tout, tous les jours depuis quelque temps. Au cas où, on ne sait jamais. Je m’en voudrais d’apprendre qu’il a œuvré ailleurs en faisant du mal à d’autres enfants...

Le son cohérent avec l'odeur

Stella & Josh

-Le but de la vie, c'est de vivre avec un but-

Il soupire, fais un petit sourire rassurant, même s’il sait que ça ne fonctionnera pas comme ça. Il essaie d’expliquer simplement ses pensées, sa situation, ses peurs… mais il ne sait pas le faire. C’était plus simple à laisser le monde dans le flou et espérer que tout se passe bien. Il n’avait pas peur de la police. Au pire, la police viendrait, ils appelleront ses parents, verront avec l’hôpital et il reviendra ici… parce qu’il avait besoin d’être ici. Il avait besoin que tout finisse par être cohérent.

- Cela s’appelle la synesthésie, dit-il avec une voix cassée alors que ses yeux s’embuèrent malgré lui. Ne m’enlevez pas ça, s’il vous plait.

Il papillonne des yeux, chasse les larmes et essaie de refouler les émotions qui l’assaillent. Non. Il ne doit pas pleurer. Après tout, il est en vie. Après avoir été mort pendant deux ans. Il était en vie. Il n’y avait rien de logique à tout ça. Il avait demandé à voir le lieu d’où il était tombé… très clairement, trop haut pour rester en vie, normalement. Il était tombé d’environ trois étages. Apparemment, les branches des arbres et autres flores sauvages l’avaient sauvé. Mais il était pourtant mort pendant quelques années… Il regarde la jeune femme et essaie de chercher les mots. Il passe sa main sur sa tête, vers une cicatrice qu’il sentait sous ses mèches. Il sait qu’elle est là. Que son cerveau avait été gerbé sur le sol… non. C’était faux. Mais quand il s’imagine sur le sol, il sait qu’il était pathétique, minable, et stupide. Après tout, il aurait fallu qu’il ne prenne pas la voiture ce jour-là… Ou qu’il ne boive pas. Ou simplement qu’il aille directement chez sa sœur comme c’était prévu. Il rabat ses genoux contre lui et regarde la crèche.

- J’entends les odeurs. Je sais, c’est fou. On ne le croit pas ! Mais c’est la vérité. Au lieu de sentir avec mon nez, je les entends. Et cette crèche, même vide, sent les enfants qui rigolent. Et ça fait tellement de bien de voir et d’entendre les mêmes choses. Que tout soit cohérent, que tout aille dans son sens.

Il enferme avec plus de force ses bras autour de ses jambes.

- S’il vous plait, répéta-t-il avec une petite voix, ne m’enlevez pas ça. Je jure que je ne suis pas dangereux, je m’en fiche des enfants. Fin, je m’en fiche dans le sens où vous semblez le croire, sinon je m’en fiche pas. Laissez-moi vous expliquer, vous le prouver et respirez ici. Pitié.

Il était pathétique, comme quand il était contre le sol. Il ne se souvient pas être tombé. Mais il avait dû tomber. Sinon, il ne serait pas disparu depuis aussi longtemps. Il essaie de faire comme si tout allé bien. Comme s’il n’était pas choqué. Il fait celui qui s’adapte trop facilement, mais ce n’était qu’une façade. En réalité, il n’y arrivait pas. Il était désespéré et ce petit coin de paradis était un renfort. On ne pouvait pas lui enlever.

(c) princessecapricieuse

La syné quoi ? Jamais entendu parler de ça. C’est quoi cette chose ? Une maladie ? Si j’avais fait du grec ou du latin je saurais sans doute décortiquer ce mot complexe mais ce n’est pas du tout le cas. Ou il me prend pour une andouille et m’invente je ne sais quoi pour se justifier, ou alors il est sérieux et je suis vraiment stupide car je ne connais pas ce truc-là !! Vous enlever quoi ? Je ne comprends absolument rien à ce qu’il raconte et le trouve vraiment trop bizarre, confirmant mon idée qu’il ferait mieux de se tenir loin d’enfants. N’empêche qu’en le regardant de plus près il n’a pas l’air méchant du tout. Il donne surtout l’impression d’être perdu, de ne pas trop savoir quoi faire, ni même où est sa place, mais, même si je suis sociable et que j’aime les gens en général, je dois apprendre à me méfier, et là des enfants sont en jeu donc je ne peux pas me permettre de jouer la carte de la gentillesse ou de la crédulité. Pourtant quand je le vois rabattre ses jambes sur le banc et que je l’écoute je ressens une certaine pitié pour ce garçon aux yeux embués. Je sens que je suis déjà en train de me faire avoir et encore une fois je ne comprends rien à ce qu’il raconte...

Vous entendez les odeurs ? C’est quoi cette histoire ? Je le regarde toujours avec une certaine méfiance en ajoutant...vous vous moquez de moi, c’est ça ? Comment peut-on entendre les odeurs ? Ecoutez je suis vraiment désolée mais il va réellement falloir arrêter de venir ici. Si je vous ai repéré d’autres le feront aussi, comme les parents qui nous confient leurs enfants, et...je regrette de vous dire ça, mais vous n’avez rien de rassurant...

Il a l’air tellement sincère. Encore plus quand je l’entends me supplier et affirmer qu’il n’est pas dangereux pour les enfants. Je veux bien le croire mais comme je viens de lui dire si des parents se rendent compte aussi de sa présence quotidienne ils risquent de le prendre bien plus mal que moi. Et lui risque avoir de gros problèmes, et pas forcément avec la police. Enfin bien que je ne voulais pas jouer la carte de la gentillesse, je finis par m’assoir sur le banc, à côté de lui et lui dis.

Ok, je vous écoute. Expliquez-moi...mais je ne peux rien vous promettre quand à votre présence ici, tous les jours...

Stella tu es décidément quelqu’un de faible !! Ta bonté te perdra...j’aurais peut-être dû rester sur ma première position, le pousser à partir et le convaincre de ne jamais plus revenir mais...

Le son cohérent avec l'odeur

Stella & Josh

-Le but de la vie, c'est de vivre avec un but-

Il s’enfonce en lui-même, le petit oiseau. Conscient d’être plus enfantin que les enfants dont l’inconnue avait la charge. Après tout, il était déjà pas mature à 22 ans, et il avait perdu deux ans de sa vie dans le coma, et il était devenu fou. S’il devait donner un âge à son esprit, Josh choisirait cinq ou six ans… parce qu’il était apte à parler et à s’enfuir, mais aussi terrifié à l’idée de passer dans une autre école. Il se demande comment il pourrait expliquer mieux tout ce qui lui arrive. Ouais, logique qu’elle n’y comprenne rien. Lui-même avait mis du temps à comprendre. Lui-même continuer à vouloir s’enfoncer des bouchons dans les oreilles pour essayer de calmer le son, alors qu’il devrait tout simplement se boucher le nez. Il reste ainsi, les bras entourant ses jambes et regardant vers l’immeuble en face de lui. Il aimerait redevenir un enfant. Il aimerait retourner à l’école. Il aimerait rencontrer une nouvelle fois son meilleur ami. Il aimerait rencontrer une nouvelle fois les amis de sa sœur. Il aimerait être l’enfant casse-ouille qui suit son ainé et veut simplement s’amuser à grimper aux arbres… il aimerait être moins que lui. Plus rassurant. Il avait toujours été rassurant. Josh était le genre d’enfant à qui l’on donne le bon Dieu sans confession. Que l’on propose de voir et d’amener partout parce qu’on sait qu’il est bon et juste. Pourtant, là, il avait l’impression d’être un monstre.

Et même pas qu’aux yeux de la jeune femme. Il avait l’impression d’être un monstre aux yeux de l’humanité tout entière. Il ne pouvait pas réellement expliquer une maladie qui touche si peu de personne que ça en devient un cas exceptionnel. Il soupire un instant, plus comme une décompression de sa tension qu’un réel soupir et regarde la jeune femme. Même si elle est désolée et veut le voir partir, elle semble gentille. Et ça lui fait du bien. Le bruit du sable était l’odeur des femmes gentilles ? Il ne sait pas. Il ne pourrait même pas dire ce qu’elle sent. Quand elle lui demande des explications, il essaie de trouver les mots.

- Il y a deux ans, j’ai eu un accident stupide. Super stupide. J’ai été aussi con que… que con. Pendant deux ans, je suis resté dans le coma. Et quand je me suis réveillé, j’étais atteint de synesthésie…., il approche la main de son crâne pour lui montrer ses tempes. Mon cerveau, au lieu de traduire les odeurs par une odeur, il les traduit par un son. Il existe plein de synesthésie, c’est le fait de mélanger deux sens parce qu’un synapse neuronal à décider que fonctionner comme il faut, ça sert à rien. On peut voir les odeurs, entendre les couleurs, ressentir la musique comme des coups, etc. Dans mon cas…

Il porte la main à son nez… et doucement, il soulève son masque et le baisse.

- J’entends, dit-il en montrant ses oreilles, ce que mon nez sent. Au lieu de sentir l’odeur de lavande, j’entends la pluie. Au lieu de sentir l’odeur du sang, c’est un tambour. Au lieu de sentir le désinfectant, j’entends une craie contre un tableau noir. Vous-même, vous sentez le sable qui coule d’un sablier. Je ne sais pas ce qu’est votre odeur, parce que je n’ai pas encore appris, mais c’est votre odeur.

Il remit son masque.

- Sauf que la plupart des choses n’ont pas un son cohérent avec ce qu’ils sont. L’odeur de la pluie devrait avoir le son de la pluie, mais c’est la lavande. La pluie fraiche, elle a le son d’un mi sur un piano. Tout est illogique. Sauf ici. L’odeur que dégage le lieu, c’est le son d’enfants qui rigolent. Alors quand je suis ici, je peux écouter sans avoir l’impression de devenir fou. Ma psy me dit que je m’adapte plutôt bien pour un gars qui est sorti du coma y a moins de cinq mois… mais elle ne sait pas que je craque souvent de ne rien « contrôler » de mon esprit. Je donnerais tout pour pouvoir sentir à nouveau comme les gens normaux.

(c) princessecapricieuse

Puisque j’ai décidé de lui donner une chance de s’expliquer, bien que son histoire d’entendre les sons me semble complètement ahurissante, je m’installe à côté de lui, sur le banc. Je n’ai jamais entendu parler d’une telle chose et je pense qu’après être rentrée chez moi je vérifierais ça sur internet, au calme, mais pour le moment c’est lui que j’écoute. Et le début du récit est déjà très “hard” !! Il m’informe être resté deux ans dans le coma après un stupide accident et s’être réveillé avec cette maladie !! J’imagine que ça doit être encore plus complexe quand ce n’est pas de naissance. Je regarde ce qu’il me montre et découvre une belle cicatrice au niveau de ses tempes. Jusque-là il a l’air sincère.

Ha oui quand même lui dis-je en découvrant la cicatrice. Bizarrement je repense à Marvin et ce qu’il m’a raconté, quand il a eu le sentiment qu’il allait mourir. Ce jeune homme a-t'il eu la même sensation ? A-t'il eu le temps de réaliser qu’il partait, bien que c’était dans le coma ? Enfin, suite des explications, et là ça devient complexe pour moi !! En même temps de la manière qu’il décrit la chose c’est impossible qu’il ait inventé tout ça, ou alors je suis réellement en train d’écouter un psychopathe !!

Le sable qui coule d’un sablier ? Et c’est un bon son ça ou c'est quelque chose qui vous dérange ?

Enfin c’est pas pour dire mais pour moi le sable qui coule dans le sablier ne fait aucun bruit !! Bref, je le laisse continuer et il en vient à m’expliquer pourquoi il se sent aussi bien ici, en présence de nos bambins.

Et ça se traite cette maladie ? Hormis la psy ? Ça se guérit surtout ?

J’espère pour lui que oui car moi je crois que je deviendrais complètement folle si ça m’arrivait. Enfin revenons-en au cœur du problème, sa présence ici.

Bon écoutez, moi je ne vous poserai aucun problème. Je vais tout de même en parler à ma directrice et elle fera ce qu’elle veut. En revanche, comme je vous l’ai dit, si moi je vous ai remarqué, d’autres peuvent le faire aussi, notamment les parents qui nous confient leur progéniture. Avec tout ce qui se passe de nos jours, avec tout ce qu’on entend et tous ces pédophiles qui traînent dans les rues, je ne peux pas vous assurer que lesdits parents le prendront aussi bien que moi. Je vous remercie pour votre sincérité, ça ne doit pas être évident d’en parler, mais du coup je ne pense pas qu’eux vous laisseront le temps de vous expliquer. Essayez de vous trouver un autre bruit cohérent avec l’odeur et tenez-vous loin des enfants. C’est un conseil que je vous donne.

J’ai conscience que ce que je lui annonce est plus facile à dire qu’à faire puisque ce n’est pas lui qui contrôle ses bruits et ses odeurs mais ça serait quand même mieux pour lui s’il y parvenait !!